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110207
Ignacio Ramonet, un patron de presse comme un autre
par Daniel Vivas

Comme tout patron de presse qui se respecte, c’est au tour d’Ignacio Ramonet de se saisir de l’éditorial de janvier 2007 de son journal mensuel Le Monde Diplomatique, pour alarmer ses lecteurs autour du thème récurrent de « la presse qui va mal ». Les causes de ce constat (auquel son journal n’échappe pas) viendraient selon lui d’une « irruption » de la presse dite gratuite et de l’Internet, dépositaire d’un grand nombre de sites d’information et dont la profusion « fascine ». Raisons déjà invoquées par ses collègues de la même presse dominante, qui permettent ainsi au directeur de la rédaction d’éluder les véritables raisons qui heurteraient certainement la sensibilité des dirigeants de l’autocratie « d’un autre monde est possible ».

En effet, ouvrir ses colonnes à une critique plus radicale du capitalisme (1) et des nuisances mortifères du monde industriel n’a jamais vraiment fait partie des préoccupations de la rédaction du Diplo. Elles sont ailleurs. Elle préfère s’inventer et s’approprier des victoires comme celle du « non » à la constitution européenne et rester dans un mutisme compréhensible face à l’inertie de sa taxe Tobin (2). Elle reste sourde à l’indignation de certains lecteurs quant à l’usage faussement paradoxal de la publicité (3) dans un journal qui prétend lutter contre les dogmes de la société marchande, leur faisant un pied de nez en légitimant la continuation de cette pratique pour l’année 2007 par des justifications bien arrangeantes du genre « la publicité restera limitée à 5% de notre chiffre d’affaires. Un niveau très bas si on le compare à la plupart des autres titres (plus de 50% en moyenne) ». Ignacio Ramonet et sa rédaction apaisent rationnellement la conscience de ceux qui continueront à lire leur mensuel. Expliquer la perte d’une partie du lectorat parce que les responsables de ce journal continuent à duper leur monde et qu’ils persistent à les prendre pour des cons, a dû quand même effleurer l’esprit de certains rédacteurs de ce journal. Mais cette explication est trop directe et trop honnête pour être exposée crûment.

L’expert en communication Ramonet explique en Lingua Quintae Respublica (4), ce langage vide et passe-partout de l’ordre dominant, ici dans sa version « marchand de camelotes en tout genre » comment stopper l’anémie de son lectorat. Il invoque comme remède « un prochain numéro […] qui va intégrer des innovations thématiques et des rubriques nouvelles. L’ensemble de la maquette fera l’objet d’un toilettage et la " une " sera modifiée.  […] S’abonner au moment où nous livrons une guerre médiatique face aux géants de la communication, constitue à la fois un acte de résistance et la meilleure façon de nous manifester votre soutien. C’est aussi un engagement en faveur de la presse libre, de la pluralité des idées et du journalisme réellement indépendant ». On dirait à s’y méprendre du July ou du Colombani. Le plus affligeant dans ce type de langage, c’est qu’il atteint son objectif : celui de maintenir au silence la plupart des concernés y compris ceux qui prétendent le combattre.

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(1) Mot banni de la plupart des articles du journal afin de ne pas choquer les nostalgiques d’un « capitalisme à la papa » et remplacé par néolibéralisme, financiarisation de l’économie et bien d’autres « lotions adoucissantes ».

(2) Pas un seul mot sur le désastre Attac, association créée à l’initiative du Monde Diplomatique, dont l’idée directrice est de taxer la spéculation financière mondiale afin d’engraisser financièrement une « institution indépendante » (une de plus !) qui redistribuerait ensuite cet impôt aux pays pauvres, association qui s’effondre sous l’avidité pitoyable de ses dirigeants pour le pouvoir.

(3) Dans le numéro de janvier 2007, on peut remarquer une publicité page 4 pour la multinationale Microsoft et un slogan sémantiquement essoré « Votre potentiel, notre passion ». On peut se demander si la rédaction aurait accepté un slogan de cette multinationale plus en « synergie » avec les idées prétendues du journal, du genre « Microsoft -Vos ressources, notre pillage »...

(4) Lingua Quintae Respublica : lire à ce sujet le dernier livre d’Eric Hazan, LQR-La Propagande du quotidien. Éditions Liber Raisons d’agir.
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