Pages Pierre Carles

Quelques extraits d'un interview de Pierre Carles de 5 pages dans GET BUSY, n°6, décembre 2002;
4 euros en kiosques
abonnement : 1 an, 6 numéros, 22 euros
(GBI éditions, 73, rue Marceau, 93100 Montreuil.

 

 

T’avais conscience en entrant à la télé que t’allais faire tout ça, ou tu entrais pour infiltrer ?

Faut faire gaffe à ce mot, « infiltrer ». Il y a tellement de gens qui prétendent infiltrer, et qui finissent par se faire bouffer. Non, c’est un mélange de choses. La volonté d’être autonome était une véritable obsession. Tenir une caméra tout seul. S’occuper d’un banc de montage tout seul. Ne devoir rien à personne. Il faut faire hyper gaffe à ce que Bourdieu appelle « l’illusion biographique ». C’est-à-dire tout revoir à la lueur d’un parcours ultérieur. Il y avait un vrai plaisir de ma part dans le fait de rentrer à la télé. D’essayer de foutre le bordel. Pas forcément pour des raisons très nobles, d’ailleurs. Aussi pour te faire mousser… c’est un mélange de choses très différentes. D’ailleurs, pourquoi tu développes une sorte de contre-pouvoir ? C’est aussi pour avoir le pouvoir. C’est pas un sacrifice !

*

Ton truc à toi, ça a toujours été, apparemment, de manier l’abus de confiance ? (rires)

Attends, attends, faut pas exagérer la confiance ! Dechavanne ou Rapp, ça les intéressait que je vienne travailler dans leurs émissions. Ils pensaient que ça allait faire de l’audience.

À cette époque-là, dans ton entourage, ta famille, jamais on t’a dit d’arrêter un peu tes conneries, de profiter du truc et puis c’est tout ?

Non. Juste après Dechavanne, il y a eu l’enquête sur la fausse interview de Castro par PPDA. Là aussi, l’idée était de faire un reportage parfaitement cohérent avec ce qu’on peut attendre d’une émission comme celle d’Ardisson, « Double Jeu », dans laquelle il y avait une rubrique qui s’appelait « Info-Intox ». Ardisson, malin, avait vu l’intérêt qu’il avait à faire un peu de scandale avec cette affaire. Mais le patron de la 2 avait censuré le sujet, parce qu’à l’époque on n’avait jamais attaqué comme ça un journaliste à la télévision.

Un grand journaliste, qui est toujours là…

Ca en dit long, d’abord sur l’amnésie de ce système. Evidemment, après, tout le monde lui est tombé sur la gueule. Bruno Masure m’appelait, il me disait, « On bouffe ensemble, c’est formidable ce que vous faites, et tout. » Tu vois, les opportunistes qui sont arrivés ! J’ai défendu Poivre d’Arvor, en disant « Soyez pas hypocrites. Ce type-là fait une fausse interview, mais, en même temps, les vraies interviews, les techniquement vraies interviews sont tout aussi fausses. Aussi bidon. » Bourdieu disait qu’on s’intéresse toujours à des scandales extra-ordinaires, à des bidonnages extra-ordinaires… qui servent à occulter le bidonnage ordinaire qu’on voit tous les jours. Le fait que la télé relaye le discours du pouvoir économique en permanence. Sans en avoir conscience à l’époque, j’ai participé à entretenir l’idée qu’il y avait des gens comme Poivre d’Arvor, et d’autres qui ne disent que des choses bien… ce qui est faux ! Les autres disent des choses encore plus crapuleuses. Mais moins visibles…

Toi tu l’expliques comment que ces gens-là s’entendent, que, comme tu disais tout à l’heure, il n’y ait pas de notion de contre-pouvoir ?

Ils participent d’un même monde. C’est la même classe sociale. Ils partagent les mêmes valeurs.

S’ils étaient plus agressifs…

Ca changerait rien. Regarde John-Paul Lepers, le type de Karl Zéro. Il pose des questions beaucoup moins complaisantes aux hommes politiques que les Duhamel et compagnie. En même temps, pourquoi il le fait là aux hommes politiques ? Parce que les hommes politiques n’ont plus le pouvoir. Il ne va pas faire ça avec Jean-Marie Messier ou avec Jean-Luc Lagardère. Les vrais hommes de pouvoir. Le pouvoir s’est déplacé.

*

Est-ce que tu crois à l’existence d’une télé « différente » ?

Le système sera encore plus performant pour désinformer quand il y aura 200 chaînes. Il y en aura 190 qui se ressembleront, qui seront la chaîne unique. Et tu auras 10 chaînes alibi : la chaîne Monde Diplomatique, la chaîne Charlie Hebdo, la chaîne GET BUSY… Chacun aura un public bien ciblé, bien déterminé, qui sera conforté dans ce qu’il pense déjà. Ce qui est subversif, c’est ce à quoi tu t’attends pas. En tant que spectateur, je veux être dérouté, pas conforté dans ce que je pense déjà, quelque chose qui me met dans la merde, qui casse un a priori que j’avais.

Quand tu projettes tes films dans des structures alternatives, en province, etc., est-ce que c’est pas conquis d’avance ?

C’est au moins un public prêt à le recevoir. Avec les deux films produits par C-P, on a réussi à aller au-delà des publics militants. Mais pas de beaucoup. On n’a pas été toucher le grand public. Le documentaire en salles ne touche pas le grand public. Tu vises aussi le 1+1+1… C’est pareil pour un canard : si quelqu’un qui devait pas être touché l’est, c’est gagné. Il faut pas avoir les critères de jugement qui sont ceux de l’audimat, de la télévision : vous avez été vus par tant de gens, etc. Une chose est sûre : la télé numérique, la multiplication des chaînes, c’est formidable pour le système. Ce sera impossible qu’il y ait des « accidents ». Il n’y aura plus de types comme moi chez Dechavanne. Ils seront dans un ghetto.
    

 

 

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