Le Magazine de l'Homme Moderne/ Pierre Carles  
   TIRER SUR L’AMBULANCE
Gérard Carreyrou ou le droit de se taire
Pierre Carles
CQFD, n°60, octobre 2008.
 
   

- On ne frappe pas un ennemi à terre
- Mais alors quand ?

Lucien Guitry

 

Lorsque Jean-Marc Rouillan d’Action Directe a vu son régime de semi-liberté suspendu pour avoir prononcé dans l’Express une phrase aussi banale que « en tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire », on a vu rappliquer sur le devant de la scène médiatique quelques journalistes donneurs de leçons dont Gérard Carreyrou. Ce dernier, dans sa chronique de France-Soir s’est emporté contre son confrère Christian Barbier, le directeur de L'Express, coupable à ses yeux d’avoir donné la parole à l’« assassin » Rouillan. Une « faute » inexcusable d’après Carreyrou.

Berth L’ex-directeur de la rédaction et de l’information de TF1 donnant des leçons de déontologie à ses petits camarades ! On croit rêver... On parle bien du Gérard Carreyrou à l’origine de la pétition de soutien à Patrick Poivre d’Arvor lors de l’affaire de l’interview bidonnée de Fidel Castro par PPDA, celui qui prétendait que la rédaction de TF1 était « attachée plus que tout autre à une déontologie et à une conception pluraliste et sans complaisance de l’information1». Ce même Carreyrou qui n’a pas moufté quand PPDA — encore lui — a été inculpé dans l’affaire Botton pour avoir bénéficié de cadeaux du conseiller de l’homme politique Michel Noir. Gérard Carreyrou au salaire mirobolant (2,8 millions de francs par an à TF1) mais néanmoins logé par la mairie de Paris dans un appartement de 140 m2 dans le XV° arrondissement. Enfin, Carreyrou producteur avec l’ex-militaire et fils de militaire Charles Villeneuve du Droit de savoir sur TF1, l’émission « où les journalistes mettent souvent les pieds là où on n’ose à peine mettre les mains »2 mais peu pressée d’explorer les zones d’ombres de l’appareil répressif français, que ce soit l’administration pénitentiaire, la police ou l’armée.

À l’époque où Carreyrou jouait les caïds de l’ investigation avec Villeneuve sur TF1, leur émission n’a pas fait preuve d’une grande curiosité sur le rôle joué par la mission militaire française en Argentine durant les années 70. Elle aurait plutôt cherché à ne pas savoir ce qu’y faisaient le colonel Robert Servent, aujourd’hui retraité dans le sud de la France, ou son adjoint le lieutenant-colonel Michel L’Hénoret, membres de la mission militaire au début de la « sale guerre » qui se soldera par le massacre de milliers de militants de gauche ou péronistes. Ne pas s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’attaché militaire auprès de l’Ambassade de France, le colonel Jean-Claude Le Guen, a été décoré par un des pires généraux de la junte militaire, le général Suarez Mason, comme l’a révélée la journaliste Marie-Monique Robin dans son enquête Escadron de la mort, l’école française. Au début des années 90, le Droit de savoir s’est illustré en diffusant un snuff movie tourné par un vidéaste brésilien. Une très réaliste scène de lynchage où trois voleurs sont aspergés d’essence et brûlés vifs par une foule goguenarde. Pourquoi ne pas avoir essayé de rééditer la chose avec les militaires argentins s’inspirant des méthodes du tortionnaire français Aussaresses ? L’émission aurait eu largement de quoi alimenter sa soif d’images chocs.

Dans sa chronique de France Soir, Carreyrou explique que Jean-Marc Rouillan aurait « lâchement assassiné » le général Audran « parce que son nom de famille commençait par la première lettre de l’alphabet ». Puis ce fut au tour du PDG de Renault, Georges Besse, « dont le nom commençait par un "b" ». Enfin, il lâche à l’adresse de Jean-Marc Rouillan : « Vous vous prépariez à un autre assassinat dont le nom de la victime aurait commencé par un "c" ». C comme… Carreyrou ?

 

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1. Le Monde, 28 janvier 1992.
2. Interview de Charles Villeneuve par Michel Denisot dans « Télé-dimanche » (Canal +) lors des débuts de l’émission.
   

 
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