ENTREVUE

ÉRIC MARTIN NOUS DEMANDE
D'ALLER CHIER SUR LA GUEULE DU ROI

Vice Belgium, 19/12/2008

Éric Martin, co-réalisateur du documentaire Choron Dernière et auteur pour Groland, nous la joue sur le même ton que le Professeur Choron. Comprenez : il ne fait pas dans la dentelle... Pour une fois, aucune goutte d'alcool n'a été consommée pendant l’entretien, ce qui n'a pas empêché Martin de distiller dans cette interview une bonne dose de vitriol, dans la lignée du Prof, créateur de Hara Kiri et Charlie Hebdo.

Vice: Vous en avez bavé pour distribuer ce film dans les salles.

Éric Martin: Quand tu fais un film sur un hors-la-loi comme Choron, faut pas s'attendre à ce que les flics de la pensée te donnent des ronds. Au final, c'est 3B Productions qui a tapé dans son portefeuille pour que le film voie le jour. Choron n'a jamais été un sujet facile car il déroute les militants de droite comme de gauche. La scène du film où il fout la merde sur le plateau de Dechavanne en se mettant à dos les gens qui sont pour ou contre l'armée de métier en est un exemple frappant.

Il n’y a plus de presse satirique en France, les médias sont politiquement corrects... Choron n'aurait pas chié tout ce temps dans le ventilo pour rien du tout, finalement ?

Aujourd’hui, Groland est la seule vraie bulle de liberté en France. Quand tu fais un dessin pour un journal, tu trouveras toujours dix cons à la rédaction pour te dire qu'il ne faut pas écrire le mot « couilles » ou « merde » dans tes dessins parce que ça peut choquer les lecteurs. À Groland, la seule censure existante, c'est quand ton sketch est nul et qu'il ne fait rire personne, il passe direct à la trappe. Groland, c'est le même esprit qu'Hara Kiri. On a tous la même envie : se fendre la gueule en dégommant les enfoirés qui nous pourrissent la vie.

Groland n'hésite pas à foutre sa bite à l'air, comme Choron le faisait. C’est pas un peu vulgaire, tout ça ?

Beaucoup de gens confondent vulgarité et grossièreté. Si Christine Angot trempait son clitoris dans une flûte de champagne, elle serait juste grossière. Quand elle étale sa vie sexuelle avec Doc Gynéco en croyant faire de la littérature, elle est vulgaire. Choron et Groland sont grossiers mais n'atteindront jamais les summums de vulgarité d'un Jean-Marie Bigard ou des trois-quarts des émissions télévisées diffusées en France.

C'était important pour vous de ne pas glorifier Choron, de montrer qu'il pouvait être un con, lui aussi ?

Ma plus grande peur c'est qu'on ait tracé des frontières définitives concernant Choron et que les spectateurs pensent en sortant du film, qu'il n'était 24h sur 24 qu'humour et intelligence. Tu parles ! Fallait pas le croiser un jour de cuite ! Il pouvait être aussi abruti que toi et moi avec quelques whiskies dans le cornet. Mais la classe en plus. Et la classe, ça se commande pas. 

Ici, le rapport entre presse et pouvoirs politiques est moins marqué qu'en France. Pourtant, on reste dans le politiquement correct. Comment se fait-il que tout le monde garde le petit doigt sur la couture du pantalon, plutôt que de le baisser pour montrer son cul ?

Tu parles de liberté d'expression ! Va donc chier sur la gueule du roi des Belges comme a pu le faire Jan Bucquoy, tu vas voir la tonne d'emmerdements qui va tomber sur ton canard ! Vos journaux ne sont pas plus libres que les nôtres. Aucun journal ne sera aussi libre qu'Hara Kiri. La liberté de la presse en France, c'est du flan. Les dessinateurs satiriques sont censurés et condamnés à faire des dessins pas drôles.

Qu’est-ce que tu espères pour le film, maintenant qu’il  va enfin sortir en salles ?

Qu'il fasse zéro entrée. Juste pour emmerder la productrice.

JULIEN MARTELEUR

 
 

Choron, Dernière