PROJECTION EN AVANT-PREMIÈRE Mardi 30 SEPTEMBRE à 20h30 en présence de Pierre CARLES, un des deux réalisateurs (achetez vos places à l’avance, à partir du Samedi 20 Septembre).

CHORON, DERNIÈRE

Pierre CARLES et Éric MARTIN
documentaire France 2008 1h30mn
avec Georges Bernier dit « Choron », Cavanna, Cabu, Siné, Vuillemin, Wolinski, Philippe Val...

     C’était le temps béni où les églises faisaient le plein le dimanche, où la masturbation rendait sourd, où l’enfer pendait au nez des femmes adultères, où la tentation valait péché et le péché enfer et damnation… Les animateurs polis de la sage ORTF usaient d’un français délicieusement châtié et Brassens faisait figure de vilain petit canard, boycotté dans les familles convenables comme par les radios. Une contestation larvée commençait à couver un peu partout alors que les enfants de l’après-guerre abordaient en nombre une puberté qui n’allait pas tarder à virer iconoclaste. Avec l’inconscience d’une génération qui a échappé au pire et découvre une forme de confort en même temps que les injustices et aberrations d’un monde peu apaisé, il se mit à lui venir une envie de flanquer des coups de pied furibards et vengeurs dans le nid d’interdits et d’ennui qui l’empêchait de respirer. Maintenant que tous avaient à peu près de quoi bouffer et la sécurité sociale, les yeux se dessillaient. On ne se cachait plus pour vomir l’armée et la guerre, l’objection de conscience s’imposait comme un droit, Georges chantait les morpions de la marquise et il devint de notoriété publique que ça s’agitait ferme sous la soutane des curés, qui ne tardèrent pas à la jeter aux orties.

     C’est dans ce climat là qu’Hara Kiri pointa son vilain nez : impertinent, grossier, provocateur, pas joli, pas poli, il grattait là où les interdits faisaient mal, moquait la bien pensance et les hypocrisies d’une société qui se livrait à ses petites saloperies en se drapant dans des airs de morale… Hara Kiri, c’était le gros éclat de rire farceur, rageur, grinçant qui servait de révélateur à l’obscénité réelle des choses, aux mensonges en tout genre, savait trier entre conscience et mauvaise conscience. C’était une sorte de bras d’honneur salutaire qui ne compta pas pour des prunes dans le grand courant d’air de 68 et, tout en se marrant de ses propres énormités, laissait entrevoir dans un formidable exercice de lucidité les maux qui allaient prendre toute leur ampleur dans les décenies à venir (ah ! Fournier…). On se l’arrachait, on le volait, on le prêtait aux copains…
À l’initiative : Choron, Cavanna… Deux déconneurs grand teint, bons vivants, bon buveurs, anars irréductibles qui firent d’emblée équipe avec une poignée d’impertinents que la pêche de Choron poussait à aller plus loin qu’ils n’auraient jamais osé peut-être aller sans lui, provoquant une sorte d’émulation qui transformait les conseils de rédaction en parties de rigolade arrosées d’abondance. Ce fut l’époque des meilleurs dessins du sublime Reiser, de Gébé, Siné, Wolinski, Cabu, Topor, des formidables chroniques de Fournier, etc.
Harcelé de procès, interdit de paraître pour manque de respect au grand Charles pour avoir titré le lendemain de sa mort « Bal tragique à Colombey = 1 mort ! » (en référence à l’incendie de la discothèque du 5/7 qui avait fait 146 morts peu avant) Hara Kiri devint Charlie Hebdo pour se saborder à nouveau, suite à des difficultés financières, mais aussi peut-être parce que l’air du temps n’était plus ce qu’il était… en décembre 81…
Quand Val reprit le titre avec une nouvelle équipe, Choron ne fut pas du voyage, on se fâcha, on se fit des procès… quelques piliers du début restèrent et de nouveaux talents apparurent mais les temps avaient changé et sous la houlette de Val, Charlie devint moins provocateur, plus consensuel, prenant ses distances avec l’ancien Charlie et encore plus avec Choron : seul le fidèle Cavana leva son verre et sortit sa plume lorsqu’il passa l’arme à gauche en janvier 2005, rappelant qu’il n’avait pas compté pour des prunes dans la vie de Charlie-Hebdo.

     Choron dernière, c’est un peu une justice rendue à un bonhomme qui en faisait des tonnes, brandissait sa quéquette molle et pitoyable comme un étendard, s’en prenait à toutes les formes de connerie humaine mais savait reconnaître les talents et les fédérer. On trouve dans le film de Carles et Martin moult extraits d’émissions, des petits films rigolos et des grosses blagues lourdingues. Pas poli, pas joli… Choron continua jusqu’au bout à donner dans la provocation, humain, foutrement humain jusque dans ses aspects peu reluisants, mais assumés jusqu’à la dernière seconde, à fondre quand il papote avec ses vieux voisins dans son village natal.
Charlie Hebdo d’hier, Charlie Hebdo d’aujourd’hui… les temps ont changé et un journaliste interpelle Val à Cannes après que la nouvelle équipe en cravate et costard ait monté les marches du Palais pour présenter C’est dûr d’être aimé par des cons : l’ancien Charlie Hebdo aurait-il pu se trouver en situation de monter les marches du Festival de Cannes ?…