Plein les mirettes
C’est bon d’aimer
un mec génial
Jean-Pierre Bouyxou

Il est possible, cette semaine, de voir un très bon documentaire sur la presse satirique. Non, non, ce n’est pas le bidule auquel vous pensez : il s’agit, j’insiste, d’un bon documentaire, et non d’une sorte de clip promotionnel à la mords-moi-le-tchador. Il est présenté du 19 au 21 septembre à Quend, dans le cadre du Festival du film grolandais, avant d’être projeté dans le circuit des cinémas Utopia (le 30 septembre à Bordeaux, le 2 octobre à Toulouse, le 25 octobre à Saint-Ouen-l’Aumône) et autres lieux recommandables (le 7 octobre au Diagonal de Montpellier, le 26 octobre au Festival des libertés de Bruxelles). Pour le zyeuter à Paris, faudra attendre le début de l’année prochaine. Le temps va sembler long. Ça s’appelle Choron, dernière et c’est réalisé par Pierre Carles et Martin.

  Vous savez, j’espère, qui était Choron. Non ? Le professeur Choron, de son vrai nom Georges Bernier (1929-2005), était un type épatant et génial. C’est avec lui que Cavanna a créé le mensuel Hara-Kiri en 1960, puis L’Hebdo Hara-Kiri en 1969. C’est lui, Choron, qui a dégoté à la mort du général de Gaulle l’accroche de couverture la plus célèbre, la plus irrespectueuse et la plus poilante de la presse françouaise (« Bal tragique à Colombey : un mort »). Choron Et c’est donc à cause de lui, Choron, que le canard, immédiatement interdit, a dû changer de titre et devenir Charlie Hebdo. L’importance de Choron a été énorme, primordiale, et ceux qui prétendent le contraire sont, au choix, des faux jetons ou des crétins. On se demande, d’ailleurs, quel curieux ressentiment les y pousse. L’aigreur, la jalousie, la mauvaise foi et la bassesse suintent de leurs propos avec une telle évidence qu’ils en sont, visiblement, les premiers gênés. Les rôles de traîtres sont parfois durailles à tenir, dans la vraie vie…

  Pierre Carles et Martin ont raison de leur donner longuement la parole. Leur petitesse, leur frilosité et leur rancœur font, par contraste, ressortir la grandeur, l’insolence et le culot de Choron. Il ne dessinait pas, écrivait peu. Mais il était, comme le fait remarquer dans le film quelqu’un dont le nom m’échappe, « un chef d’orchestre » qui n’avait pas son pareil pour encourager son équipe à aller toujours plus loin dans le délire, la provoc, la dérision, l’ignorance du bon goût, de la morale, des prétendues limites. Choron picolait. Choron fumait. Choron montait sur la table pour montrer sa bite. Choron disait des gros mots. Choron n’aimait ni les vieux emmerdeurs ni les jeunes pisse-froid. Mais Choron était d’une classe folle, d’une élégance extrême et d’une gentillesse confondante. Je le sais, je l’ai un peu connu. Pas assez, et seulement sur le tard, mais suffisamment pour le retrouver tout entier dans la dernière demi-heure du film, où, vieilli, il se retourne sans pathos vers son passé. Pas étonnant que Cavanna soit à deux doigts d’éclater en sanglot en évoquant un mec comme ça. Mais est-ce uniquement la nostalgie qui lui met les armes aux yeux, à Cavanna ?