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Pierre Carles



Photo de famille
par Annie Gonzalez

À propos du film LES PETITS POUCETS de Thomas Bardinet, sorti le 02/04/2007.

Les aînés des familles des âmes câlines , ou de celle du cri de tarzan, ont fait des enfants, aussi. Après leurs heures de gloire dissidente (échanges amoureux qu’évoque Baptiste/Christophe Alévèque, disparition dans les îles peuplées d’oiseaux, et autres expériences d’autonomie) les fils ont pris la relève. Et même si l’air du temps est agréable, les filles malicieuses devenues femmes, les hommes à peine sortis de quelque niaiserie, reste le goût d’échappée belle. Les douleurs vibrantes de l’apprentissage sont passées sans que la résignation n’aie de lieu ni le désir d’assouvissement. Les grands enfants, adultes devenus, se sont réconciliés, dans le non dit du hors champ, avec les pères, même les plus déroutants, comme celui qu’incarnait François Berléand. Subsiste l’esprit de famille, agrandie aux membres choisis, aux amis invités à goûter ce temps entre parenthèse où se taisent les conflits : les vacances d’été.

ppLes fils et les pères, les mères et la fille, s’adonnent ensemble aux récréations enfantines. Baptiste, Caroline, Arthur et Laetitia, renouvèlent le rituel des grandes vacances, et se mêlent les générations et cette impression de déjà vu, leurs, nos premières vacances, dont le souvenir est vague mais la sensation intacte, malgré l’oubli de l’ennui parfois, des drames et des brimades domestiques même.
La reproduction du modèle ancien est traversée de la nouveauté commune des rires, des siestes coquines, des tournées de crêpes, des séductions conjugales et trahisons filiales. Comme celle de Laetitia, naïve, au pastel, à l’eau, à « l’acrylique plus facile mais l’art est difficile » est envahie des bons hommes rageurs et colorés gribouillés par les enfants.
Le cours des choses est limpide comme le font croire la lumière des journées d’été au bord de la rivière, les ombres douces des clairières. Comme une visée sur un réel non reconstruit, mais là, présent, le film avance toujours plus épuré.
Pour nous qui sommes plus habitués au roman familial fait de souvenirs faux et vrais, à la fiction psychologique des familles, le conte fait son travail.

ppLe son du carillon agité seulement par l’air libre d’un jour clair que l’on ne voit pas, s’entrelace avec les premières images d’ une demeure aux arcs pleins de nuit émergeant au fond de la forêt, au décompte d’un d’enfant pendant que les grands ont tiré les volets, à la voix du père qui commence l’histoire pour endormir les petits et éveiller les songes. Si nous acceptons ces glissements concomitants, d’un cillement d’yeux la pénombre passe à la clarté du jour, puis à la nuit diurne des sous bois, ravivant de notre mémoire d’autres images aussi. Des images qui effleurent celles du film dont les longs plans distillent craquements de branches, cris d’oiseaux nocturnes, propagent signes de l’absence, ricochets sur l’onde, gestes dans les replis de lumière bleue, cris étouffés, éclaboussements, regards surpris, au loin les chiens psychopompes, tandis que dans leur cuisine les adultes parlent, discutent, disputent, agissent, jouent leurs rôles.

Quelque chose a pris la tangente. Comme dans un demi sommeil, se confondent les points de vue, celui des parents, des enfants, le nôtre. Aux effets de la nature à laquelle les enfants disparus s’adaptent comme s’ils n’avaient jamais coupé le lien, (ces enfants indistinguables, à peine nommables, indénombrables, on ne sait d’ailleurs s’ils reviennent tous, lutins mystérieux, organiques) se mêlent les sensations de nos peurs des forêts, de nos plaisirs indicibles, de nos irresponsabilités de parents. Sur le fil du film se dessine un monde, entre, celui où les point de vue des adultes et des enfants ne sont jamais réduits à ce que l’un pourrait voir de l’autre, même pas le nôtre, spectateur à peine enfant à peine adulte, les deux à la fois. Un monde où se rassemblent furtivement au rythme des plans uniques, les poucets, les ogres, les géants, les boucles d’or, la silhouette de John Mohune, le sourire de Réri au bord de l’embarcation de Matahi.
Alors que les images s’accrochent et les sensations persistent, le film passe en l’absence des uns ou des autres, (les enfants, les parents, les amis, les clandestins s’en vont), avec cette présence toujours manquante dont nous faisons l’expérience dans la durée pas si linéaire que ça. Mais ça nous emporte sans violence vers le vertige, à la fois vertige et délicieux, de celui qui s’abandonne aux peurs enfantines feintes pour mieux les surmonter et convaincues parce qu’elles embrasent. Ça nous mène aux deux derniers plans dont on voudrait qu’ils durent, et l’un et l’autre et le dernier et l’avant dernier, sans choisir, et surtout le dernier. Caroline, la mère, retrouve ses enfants. Elle les regarde, ce ne sont déjà plus mêmes. Qui sont ils d’ailleurs ?
Son regard, le nôtre, fixe et biaise, une vacillation délicate, comme si nous retrouvions la conscience que du fond de notre tout petit tout petit quotidien la survie de l’espèce n’est conditionnée qu’à sa capacité à s’améliorer, à devenir meilleur. Ce n’est pas rassurant, mais ce n’est pas dommage. C’est la pire violence d’imaginer, chargé de notre passé, toute la puissance du futur, sentir la liberté présente alors même que les enfants s’en vont.

Et « ce qu’il advient d’eux aucun n’était revenu pour le raconter. »

Pourvu qu’ils ne fassent pas les mêmes conneries que nous ! Bon on les fait ces crêpes bibiche ?



 
 

  
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