Landscape et silence (extraits)

Des bruits de construction couvrent le décor,
un fond de musique distingue l’arrière-plan de la mémoire,
je lève les yeux vers la surface la plus claire de l’espace,
mais les paupières tombent — la pupille se dilate violemment :
le ciel est d’un bleu trop clair.

Comment le monde apparaîtrait
si l’on démesurait l’intensité du bruit de construction
qui brode…

Des bombes ! Il y aurait le bruit des bombes !
Et du sang plein ce mur.
On verrait comme le ciel est d’un bleu trop clair.

Non, les vraies saveurs sont mortes.
Le jour poursuit une course invalide entre la frontière italienne
et les souvenirs de France.
Plus d’attachement réel.
J’entends un bruit diffus de circulation, la vapeur grise
qui encombre les pensées — et c’est tout…
La côte d’Azur, loin.

Il reste une poussière d’incertitude aux marges du landscape
que chaque soir je m’efforce de décrire avec la minutie
possible quand on a l’esprit nulle part.

La valeur de rose sur le crépis des maisons, la courbe bleutée du ciel,
la complexion neigeuse des montagnes ce jour de printemps,
le froissement d’ailes d’un oiseau sur le rivage oriental du balcon :
tout ça ne marche plus et s’effondre dans un goût objectif
de fin du monde.

Même la musique tourne à vide.
Et tous les mots qui font mal, n’agissent plus.
On pense à la mort de l’art… Ennui !

Eh quoi ! le ciel existe, et l’histoire de cette région de l’univers
où l’on vit le jour et fit les premières armes de sa délinquance…

Il reste les films. Le visage humain — et l’oeil rapace du lanscape.
On a connu le front d’invisibles batailles, et le trouble
incident de la chair, mais soudain l’on se noie dans une phrase.
Tout s’effondre. Oui, j’ai tout vu…
Goût objectif de fin du monde.

Bruit de machines perforantes, sifflement des sirènes, le trottoir
explose, éclats de vitres, fractures de portières…
La terre se dérobe.

Reprendre courage, extraire les phrases qui assomment, courir
l’immense bruit qui gagne
où l’on cogne en désordre pour asséner les sens, défaire
le vide mat, atteindre l’autre rive où les dieux bougent… Ennui !

La guerre contre l’homme s’élance — et ça ne porte pas à
conséquence.
Le cadre n’existe plus. Le silence force l’horreur, la vitesse
devient irréelle — elle pue le sang, la mauvaise ardeur de chair,
l’impasse des nerfs : oui, j’ai tout vu… Las !
D’abominables feuillages noirs viennent fleurir la pensée.

Dieu parle dans une nuit étrange où l’agitation ne se dénomme pas.
Et l’on est bien en peine, au moment de relire ces phrases néantes
et compliquées, d’affirmer d’où elles viennent et conduisent.
Dieu n’explique rien. Il fonde un espoir comme on nourrit son
attente. Landscape et silence.

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