La Furia Umana rencontre FJ Ossang

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INTERVIEW AVEC F.J. OSSANG*

 

 

Quand je pense à F.J. Ossang, me vient toujours en tête cette citation d’Henry Miller : « La meilleure façon de tuer un artiste est sûrement de lui donner tout ce dont il a besoin ». À Ossang, on a pas donné grand chose. Ses livres connaissent toujours une distribution nébuleuse, ses films sortent en salle en catimini, et les disques de ses groupes (MKB hier, Baader Meinhof Wagen ! aujourd’hui) sortent ou sont réédités sur des labels punks rescapés.

À Ossang, on a pas donné grand chose, mais Ossang a toujours su arracher au monde ce dont il avait besoin. A force de travail, de patience, et d’amour. « Quand on a raté l’histoire, même l’éternité pue », disait le personnage d’Angstel dans son film « Docteur Chance ». Seulement Ossang n’a pas raté l’histoire. C’est plutôt l’histoire qui semble être passé à côté de lui. Who cares ? Quarante ans après la publication de ses premiers poèmes, trente ans après la réalisation de ses premiers courts-métrages, F.J. Ossang est toujours là, la foi vrillée au corps, à publier des livres, à faire le tour des festivals du monde entier (Mexico, Venise, Buenos Aires, Vladivostok…) avec ses bobines sous le bras, toujours prêt à partir à l’autre bout de la planête pour un tournage commando.

Son dernier édifice s’appelle « Dharma Guns ». C’est un film qui convoque Guy McKnight, le chanteur des Eighties Matchbox B-Line Disaster dans un monde onirico-apocalyptique évoquant autant Cocteau, Dreyer que Chris Marker. Labyrinthique, hallucinatoire, « Dharma Guns » est un fascinant voyage au pays des morts, une expérience esthétique radicale et précieuse. Un film miraculeux. Un film singulier, survivant, habité. Un film que personne ne voulait produire il y a encore deux ans, et qui se dresse en salle, aujourd’hui, sous nos yeux fiers.

 

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Vous êtes un enfant du Cantal né au milieu des années 50. Dans ce contexte, quel est votre premier souvenir littéraire, musical et cinématographique ?

 

L’Idiot, de Dostoïevski – trouvé dans la bibliothèque… Relu par la suite à différents âges, et devenant alors une sorte de mythe fondateur à décrypter, à l’instar de Mr Arkadine d’Orson Welles, ou Raw Power des Stooges – entre Hannibal de Carthage et le cycle Arthurien …

 

On le sait, l’écriture a été votre passion première. Vous publiez votre premier livre de poésie à l’âge de 17 ans. Avant même de monter à Paris, vous créez une revue littéraire sur Toulouse (CEE). Quels livres ont étés les déclaencheurs de cette passion littéraire ?

 

Classique « jeunesse qui suicide sa naissance » : Lautréamont, Artaud, Rimbaud, Lecomte – puis Cravan, Rigaut, Vaché – Pélieu, Rodanski… En finir avec le drame de l’origine – et puis organiser la mutation — WS Burroughs et Debord… « Toutes les lois ne sont pas bonnes à dire » (Ducasse)

 

La revue sera éditée par Céeditions (votre propre maison d’édition) et Christian Bourgois entre 1977 et 1979. Les éditions Christian Bourgois existaient depuis 10 ans et publiaient déjà la fine fleur d’une littérature encore marginale (Burroughs, Kerouac, Claude Pélieu). Comment s’est faite la rencontre avec ce prestigieux éditeur ? Comment étaient perçu les édition Christian Bourgois à cette époque ?

 

Dominique de Roux a joué un grand rôle durant les premières années des Editions Bourgois – on l’oublie souvent. Il les a quittées en 1972, puis est mort à 40 ans en 1977 – sa trace demeure toujours… J’étais tombé sur deux livres en librairie, qui m’avaient sidéré : Immédiatement, de Dominique de Roux, et le Journal Paris-Berlin de Gombrowicz. J’avais commencé alors de dévorer le catalogue. On trouvait chez Bourgois les oeuvres de Witold Gombrowicz, Ezra Pound, WS Burroughs, la Beat Generation, Pélieu, Kaufmann, Junger, Ewers, Jouve, Pessoa, etc. – Bibliothèque de Babel ! J’ai commencé d’adresser des manuscrits dés 1974, et à défaut d’acceptation, une note de lecture m’était à chaque fois retournée… De refus en refus, mais du fait de cette attention, une relation s’est établie avec Christian Bourgois…

Un beau jour, il prit la décision de co-éditer la revue CEE – après la sortie du N°4/5 (Désoeuvres et Guerillas) en mars 78… Bourgois était en passe de devenir le Gallimard des années 80, jeune littérature et traductions – et puis tout s’est compliqué, ses éditions ont plutôt délaissé les auteurs français vers 84 pour se focaliser vraiment sur les littératures étrangères… Pour autant, Christian Bourgois m’a toujours suivi à distance – surtout via les films, puisqu’il était aussi impliqué à une époque dans le cinéma… qui l’a, dans sa plus récente évolution, je crois, beaucoup déçu… Sa grande affaire restant l’édition… Nous nous sommes parlés une dernière fois, la veille de mon départ pour Vladivostok et « Ciel Eteint! » — où j’espérais alors tourner aussi « Dharma Guns » (finalement ce fût aux Açores)… Il est disparu peu de temps après – sans rien en dire, le ton de sa voix exprimait cette conviction… Il m’a renouvellé sa confiance une dernière fois, mais en fait il était question d’autre chose…

 

Ossang, c’est un long-métrage à chaque décénnie. Sauf pour les années 90 où vous avez eu la chance de signer « Le Trésor des Iles Chiennes » en 1990 et « Docteur Chance » en 1997. Six ou sept ans séparent la sortie de ces deux films. Treize ans séparent celle de « Docteur Chance » et de « Dharma Guns », votre dernier film. Peux t-on dire qu’en vingt ans, il est devenu deux fois plus difficile de produire et realiser en France des films aussi singuliers que les vôtres ?

 

« Docteur Chance » (1998) a entériné une rupture – entrées médiocres, et méchante réception critique… C’est curieusement à ce moment-là que mes films ont commencé à voyager dans de nombreux festivals étrangers… Joe Strummer est mort la nuit du 22 au 23 Décembre 2002, puis Claude Pélieu celle du 24 Décembre 2002… Réflexions! …Should I stay or should I Go… Retour en Argentine 2003, et le projet « Dharma Guns » a resurgi… En 2006, rappelé au Portugal par le festival « Temps d’Images », j’ai tourné « Silencio » (Prix Jean Vigo 2007), puis dans la foulée deux films courts à Vladivostok – « Vladivostok » et « Ciel Éteint » (2008) – j’ai enchainé juste après sur « Dharma Guns« … Retour aux Açores!

Ce Qui Ne Tue Pas, Rend Plus Fort !?…

Mais que dire! Après « Docteur Chance« , les gens changeaient de trottoir en m’apercevant à Cannes. Et sans financement des TV, ni commissions, tout est dur dans ce petit monde… Dans l’intervalle des films, j’ai pu revenir à l’écriture et à la musique – au fond, c’est peut-être aussi bien… L’avenir dira…

 

Quand on a du mal à tourner, quand on fait des films avec des moyens très réduits, et que même ces moyens sont durs à acquerir, devient-on parano ?

 

Sometimes… « Naviguer est Nécessaire – Vivre n’Est Pas Nécessaire » ?

L’adversité favorise aussi les vraies questions — « on espère »…

De façon générale, le cinéma affronte une transformation technologique de production et de diffusion. Qu’en ressortira t-il? Affaiblissement du cinéma différent, normalisation — sursaut vers plus d’autonomie? c’est difficile à dire entre bourrage de crâne et ‘coup’ techno-économique… Je reste, pour ma part, attaché au filmage argentique – du Super-8 au 35 mm… Culte de la Lumière! Mais pour combien de temps ce recours est-il viable ?… Tant que l’industrie fabriquera de la pellicule! Mais on sent une telle rage d’en finir avec le cinématographe — cela tourne chez certains à la mystique de l’éradication…

 

Georges Bernanos disait (dans « La France Contre les Robots », je crois) « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». A l’aune de cette citation, peut-on dire que vous avez signé avec « Dharma Guns », long-métrage onirique et cérébral, un film anti-moderne ? Un film réalisé contre son époque ?

 

Peut-être… Même si je crois à la maxime : « Il faut être absolument moderne » (Rimbaud).

Modernisme et Tradition ne cessent jamais de s’interroger…

Le post-moderne, « qu’est-ce que c’est ? ». Voilà sans doute l’Ennemi…

Cosmogonie de la destruction : création génère destruction génère création… Sans fin…

Towers Open Fire!

 

Dharma Guns s’ouvre sur une scène avec Lard en bande son. On y retrouve aussi un morceau des Cramps et d’autres morceaux signés Jack Belsen et Little Drake. La bande originale de Dharma Guns est-elle prévue ?

 

Aucun label ne manifeste à ce jour d’intérêt… Nous avons été pris de cours pour la sortie en salles. Peut-être au moment de la sortie DVD…

 

Vous écrivez. Beaucoup plus que vous ne tournez, d’ailleurs. Votre cinéma est une pure expérience sensorielle, dans laquelle les mots ont une place plutôt restreinte et hybride. Comment écrivez-vous pour le cinéma ? Vos films sont-ils bâtis sur des images qui vous viennent et autour desquels vous brodez une histoire ? Ou bien sur des idées, des thèmes sur lesquels vous greffez des visions ?

 

1/ J’écris – presque jusqu’à épuisement… Quand soudain un scénario s’impose…

2/ Je vérifie les intuitions sur le terrain… et j’essaie de rendre le film possible…

3/ On tourne avec les êtres que le script a ralliés…

4/ Montage & Mixage (vrai temps d’écriture)…

« Une fois les mots filmés, on peut les effacer… »

 

On sent chez vous une évidente fascination pour le cinéma expressioniste. Vous revendiquez également toujours assez haut un amour des séries B américaines des années 50. Quand je vous entends parler de cinéma, vous parlez rarement de films datant d’après les années 50. Vous trouvez quand même chaussure à votre pieds dans la production contemporaine ? Il y a t-il des cinéastes dont vous admirez le travail ?

 

Années 20, Années 40/60, fin 70, 90/120/210… Aucun écrivain ne répugne à s’approprier d’autres âges littéraires, ni l’acquis d’autres cultures que la sienne. Le minimum cinématographique est d’exercer le droit de préemption et de revitalisation d’un siècle d’histoire du cinéma. Lequel a tout inventé à toute vitesse en à peine 30 ans, pour souvent pâtiner dans le vérisme séquentiel du « cinéma parlant » – à dialogues… Nous sommes au moins dans le 3° Age — Thèse/Anti-Thèse/Synthèse – Va-Va-Boum !! Qui trouve loisible d’être juste de son temps, a déjà perdu… Les films doivent entrer en mutation – voir qui passera réellement le seuil… Everything is possible! Soyons inactuels…

Le dernier film de Peter Hutton « At Sea » m’a absolument sidéré — son regard silencieux sur la vie des bateaux, de la construction dans un atelier géant de Corée du Sud jusqu’à la destruction à la masse par des journaliers Sri-Lankais, excède tous les commentaires sur la mondialisation – un pur chef d’oeuvre…

 

Dharma Guns est né de quoi ? D’une idée ? D’une image ? D’une formule poétique ?

 

Une formule : « Le moment où je parle, est déjà loin de moi » – et la revenance photographique…

Tatonner les bords du vide… Quoi hante le grand sommeil ! — nous y sommes…

 

Votre cinéma est un cinéma de l’errance métaphysique. Vos personnages tournent toujours en rond dans un monde clos duquel ils ne sortiront pas. Vous entretenez une étrange fascination pour les labyrinthes, les prisons mentales, les univers fermés. À l’égard de vos personnages, vous êtes un démiurge plutôt cruel…

 

The Way It Is… Nous voici tous enfermés dans les poubelles du supermarché… Déréalisation — comment s’en sortir?   Paint It Black! Avancer dans les brumes – ne plus dormir… Machines vampires!… Qui suis-je?

« Il est bon d’avoir aperçu l’inexistence d’un ordre, d’avoir tenté d’y échapper » (Jacques Rigaut)

 

Vos films donnent beaucoup à voir, pourtant ils racontent assez peu. Vos films sont bourrés d’histoires mortes-nées, de fausses-pistes, de cul-de-sac. Je sens chez vous comme une méfiance vis à vis de la narration, ai-je tort ?

 

La question, c’est : « regarder pour voir » — il existe toutes sortes de narrations – l’Histoire est toujours à venir, avant, pendant, après les films — le propre du cinéma muet est d’avoir réhabilité un récit par « réseaux », remontant à loin — sans tout à fait exclure le récit littéraire dominant : le récit « séquentiel »…

Enigme de la lumière… S’ouvrir au toujours recommencement du monde… « L’art doit être une chose drôle et peu assommante, c’est tout ! »

Raconter, raconter… – Des Sornettes? Tout un post-cinema fait effectivement dans le story-telling…

 

Guy McKnight, le chanteur des Eighties Matchbox B-Line Disaster, joue dans vos deux derniers films. Le court-métrage « Ciel Éteint ! » (2007) et « Dharma Guns » (2010). On a du mal à imaginer où se trouve la connexion. Comment s’est fait la rencontre ?

 

Connexion naturelle! Rencontre au premier concert français des 80’s – au Nouveau Casino, à Paris – choc fabuleux…

 

Qu’est-ce qui vous a attiré chez lui ?

 

Sa voix, sa présence physique – une intuition immédiate et réciproque…

 

Dans « Dharma Guns », Guy McKnight avait un défi à relever : jouer et parler en français. Comment s’est passé le tournage avec cet acteur qui n’a à priori aucune formation d’art dramatique et encore moins de notions de français ?

 

J’adore sa façon d’être comme dépassé par le texte qu’il prononce… Présence/absence… Et quand je parle d’intuition, c’est de sa propre résolution que Guy a toujours maintenu cette défiance du jeu… He’s great!

 

Le cinéma numérique a redonné sa liberté à certains réalisateurs qui avaient un peu fait le tour de leurs univers esthétique/narratif (Lynch) ou qui avaient tout simplement disparus (Coppola). Cette « liberté » (de tourner avec peu d’argent – dans votre cas « encore moins » d’argent) vous attire t-elle ? Vous sentez-vous une quelconque affinité avec le médium numérique ?

 

J’ai immédiatement éprouvé une passion « argentique » — même si j’ai pratiqué la vidéo au début des années 80 … L’argentique est l’expression de la Lumière – le Soleil et les ténèbres… La victoire du numérique est aussi l’expression d’un coup de force techno-économique…

Loin d’y souscrire, j’ai voulu tourner jusqu’au bout en « argentique » — l’expérience du film, son éthique de tournage sont tellement différentes du numérique…

Je n’ai rien contre le virtuel – tout en préférant « le réel qui rêve du réel »…

Mais faute de terre, ils prirent la mer — que sera sera

 

Vous tournez depuis le début vos propres scénarios. N’avez-vous jamais pensé adapter une oeuvre littéraire ?

 

Le grand intérêt d’un livre pour le cinéma, ce sont les situations… A preuve : films noirs et série B…

Un livre est d’abord grand par les mots – dont il ne reste presque plus rien dans un film…

En ce sens, les livres qui me passionnent m’ont toujours intimidé… Les films peuvent tuer les livres…

D’un autre coté, l’adaptation généralisée n’est pas un signe de vitalité : je crois que l’on doit d’abord écrire pour le cinéma, comme pour le théâtre — mais il n’y a pas de règle – un temps pour tout…

 

Je me suis toujours dit que « L’Invention de Morel » (de Adolfo Bioy Casares) entre vos mains ferait l’objet d’une magnifique adaptation. Peut-être parce que l’univers du livre est finalement assez proche du vôtre (questionnement autour du rêve, l’être, l’illusion)…

 

C’est un texte magnifique — « Invasion » de Hugo Santiago est aussi un grand film — écrit par Borges et Bioy Casares pour l’écran… Une adaptation me semble devoir être transversale, comme une réverbération du livre – qui donne avant tout envie de revenir au livre…

J’ai terminé un cycle autour du « sommeil hanté »… Maintenant j’ai envie d’aborder d’autres mondes…

 

La littérature latino-américaine (classique et/ou contemporaine) fait-elle résonner quelque chose en vous ? Vous me faisiez part de votre admiration pour Roberto Bolaño il y a quelques mois…

 

Roberto Bolano est la dernière très grande découverte de ma génération …

J’ai aussi beaucoup rêvé sur « Les 7 Fous » et « Les Lance-Flammes » de Roberto Arlt…

Sans oublier le Journal de Gombrowicz en Argentine…

 

On dirait que la malédiction qui frappé le rock’n’roll en France dans les années 77/90 s’est propagé au cinéma. Une sorte de kinovariété assez morne couvre tout le champs de la production, comme l’on vit toutes sortes de groupes intéressants entre 77 et 83 surgir, puis sombrer dans la mythologie mortuaire.

 

Aux yeux de beaucoup de gens qui n’ont jamais écouté votre musique, MKB était un groupe de « rock alternatif », du fait que vous avez sorti une grande majorité de vos disques sur Bondage Records, alors qu’esthétiquement vous ne partagiez au fond presque rien avec la plupart des groupes du label. Aviez-vous déjà à l’époque l’impression d’occuper une place spéciale dans ce milieu ?

 

MKB Fraction Provisoire a démarré en 80 à Toulouse, et a enregistré durant cette période un EP « MKB Fraction Provisoire » en 1980, puis le 33 tours « Terminal Toxique » en 1981, sortis tous deux sur le label Ceeditions Tracks (qui émanait de la revue CEE et des CEEDITIONS) – et réédités en 2006 par Seventeen Records…

Le terme de rock alternatif n’existait pas – MKB revendiquait le « noise’n’roll » dans un isolement français à peu prés complet… Outre un goût prononcé pour la fracture punk, le rock’n’roll primitif et l’attraction pour des groupes comme Cabaret Voltaire, Tuxedomoon ou Throbbing Gristle — MKB cherchait au fond à produire une équivalence sonore et scénique à certains films radicaux, ou à l’injonction paramilitaire des Garçons Sauvages de Mr Burroughs… Et puis arrivant à Paris pour essayer de tourner des films, j’ai rencontré Lucrate Milk avec qui l’entente fût immédiate… « Terminal Toxique » est sorti en 1982 (distribué par Celluloïd), mais une partie du groupe étant revenue sur Toulouse, nous avons poursuivi MKB avec Gaboni, le batteur de Lucrate Milk, et enregistré avec eux le split album « Morituri » (WW,1984) – dans la foulée du tournage de mon premier long-métrage « L’Affaire Des Divisions Morituri » (1983).

 

Quel regard portez-vous aujourd’hui cette époque ? À bien réécouter les disques produits en France à cette période là, il ne reste plus forcément grand chose à se mettre sous la dent qui n’ait pas mal vieilli… Étonnement, les disques de MKB restent relativement intemporels.

 

A vrai dire, nous n’étions proches que de Lucrate Milk dans ces années 82/84 – dont j’avais rencontré d’abord le manager, Marsu, au premier concert français de Birthday Party… Rien de typiquement alternatif – envie de sang et d’électricité… Lucrate et MKB ont joué souvent ensemble, le disque « Morituri » est sorti sur le label du studio où nous avions enregistré en 3 jours au Quai de la Gare – WW Records… C’était l’époque des squatts, et l’âpreté punk semblait ressurgir sous les couleurs de l’autonomie ou d’un anarcho-syndicalisme nostalgique à la Durutti… Paris était plus sale et dangereuse que maintenant – et chaque nuit plus excitante, avec ses affrontements de bandes. A moins que ce ne soit une lubie de la mémoire – mais non, il y avait des Maxwell, des Elno… Le froid, le verre brisé, l’odeur de sang – l’imminence d’une chute… D’ailleurs, tout s’est plutôt mal fini pour nombre d’entre eux… Overdoses, accidents, suicides, dépression – internements… « L’Affaire des Divisions Morituri » est sorti en 1985, et j’ai tout de suite pris le large pour Lisbonne… C’est durant mon absence que le rock alternatif a vraiment pris le dessus… Pour moi, tout était fini – Paris était devenue sinistre, j’étais à bout – et parvenu au bout d’un cycle… Il fallait aller ailleurs…

 

Vous avez traversé les années 80, 90 et 2000 en tant que musicien, cinéaste et écrivain. Comment définiriez-vous chaque décennie ? Quels « glissements » avez-vous pu observer en trente ans de création ?

 

J’ai connu une période difficile existentiellement en 85/86, mais bien m’en avait pris d’aller voir ailleurs… – quand je suis rentré du Portugal, les fantômes avaient glissé définitivement de l’autre coté… Les Lucrate Milk n’existaient plus, certains d’entre eux avaient rejoint les Béruriers Noirs dont la grande période avait commencé… J’avais pour ma part traversé le vide, mais rentrais avec un nouveau script, « Le Trésor des Iles Chiennes », et le sentiment de n’avoir plus rien à perdre… Le film étant difficile à produire, j’ai retrouvé les premiers membres de MKB (Mr Nasti et Jack Belsen) entre Toulouse et Paris, et nous avons enregistré « Hotel du Labrador » dès 1987, puis « Le Chant des Hyènes » en 88 – avec l’appoint de Pronto Rushtonsky à la basse… C’est alors que Bondage a décidé de sortir les disques…

Nouveaux concerts – et puis « Le Trésor des Iles Chiennes » a enfin démarré en 89… Je suis revenu au Portugal, et aux Açores pour tourner le film… MKB a enregistré la bande originale en 90 – le film est sorti en 91… Pronto Rushtonsky s’est donné la mort en Octobre… Ténèbres – ténèbres… Je suis reparti avec Elvire sur Nice, puis Madrid…

En 93/94, plusieurs livres sont parus : « Génération Néant » (qui dormait depuis 80), « L’Ode à Pronto Rushtonsky » – et « Au Bord de l’Aurore », écrit à Madrid comme l’autre versant du script « Docteur Chance » (« Au Nord de l’Aurore ») qui semblait alors impossible à produire…

Deux nouveaux disques de MKB : « Docteur Chance 93 » et « Feu! » (94) – et puis encore fuite en avant : j’ai mis le cap sur l’Amérique du Sud – Argentine, Uruguay et Chili où le film a fini par se tourner en 96/97 avec Elvire, Pedro Hestnes, Joe Strummer…

1998 : sortie de « Docteur Chance ». 99 : cap sur la Nouvelle-Zélande, puis le Japon…

1998/2001 : autres livres – « Le Ciel Eteint », « Landscape & Silence », « Les 59 Jours », « Tasman Orient ». Comme la vie peut être longue – 2003 : retour en Argentine…

 

« La fin de l’Europe » est un thème que vous partagez avec un autre écrivain possédant un background culturel et esthéthique similaire au vôtre, même si vous êtes idéologiquement très éloignés. Je veux bien sûr parler de Maurice G. Dantec. Qu’est-ce qui fait à ce point rupture pour les gens de votre génération vis à vis de l’idée que vous vous faisiez de l’occident ?

 

Il faudrait que l’Europe s’éveille – ou qu’elle dorme pour toujours… Aube mélancolique…

Si cela se trouve, le reste du monde s’en fiche…

 

Le mouvement Punk était-il vraiment la dernière aventure du monde civilisé ?

 

Devenir l’Ennemi… Par toutes ses veines… Et puis entendre bruire le réel…

 

Dans votre premier court-métrage entre 1982, “La Dernière Énigme”, vous faisiez le parrallèle entre terrorisme et pouvoir d’état. Alors que le terrorisme est un sujet que vous n’aviez pas abordé depuis 30 ans, vous avez récemment baptisé votre nouveau groupe, Baader Meinhof Wagen. Pourquoi ce nom ? Qu’est-ce que représente aujourd’hui la Fraction Armée Rouge à vos yeux ?

 

Andreas Baader adorait la vitesse et les voitures puissantes, entre autres choses… Après une évasion faramineuse, il s’est fait arrêter pour excès de vitesse – et n’est plus ressorti vivant de prison. La RAF ne volait que des BMW – d’où le jeu de mots selon lequel l’Allemagne a produit 2 marques de voitures : les Volk Wagen, et les Baader Meinhoff Wagen!…

« Nous savons l’UMOUR – Et tout – vous n’en aviez jamais douté? nous est permis. Tout ça est bien ennuyeux d’ailleurs » (Jacques Vaché)

Pan! Pan! Pan! Seul le crime paie vraiment…

 

Ces dernières années, nous avons vu passer beaucoup de films disséquants avec force recul les « années de plomb » (United Red Army, de Koji Wakamatsu / Carlos, de Olivier Assayas, pour ne citer que les meilleurs). Vos films à vous étaient presque des réactions immédiates à ce qui se passait alors…

 

En 77, il y avait l’explosion Punk à Londres – et la Fraction Armée Rouge en Allemagne…

Entre les deux, la France – comme missionnée pour produire la synthèse d’un miroitement d’éclats…

Sommeil chamanique — réel qui rêve du réel…

On attendait un nouvel Artaud – ou Nerval…

Autre chose est venu – qui vivra, dira…

 

Si on regarde de près vos quatre longs métrages, on constate comme une coupure vers le milieu des années 90. Vos deux premiers films (« L’Affaire des Divisions Morituri », « Le Trésor des Iles Chiennes ») sont assez énervés, assourdissants, apocalyptiques. A partir de « Docteur Chance » (1998), vos films deviennent plus sereins, plus contemplatifs. Je n’arrive à me résoudre à penser que c’est dû à une sorte de maturité.

 

La critique qui n’avance pas, se lasse… Celui qui se répète, a souvent tort… Il me semble que « Morituri » et « Le trésor des Iles Chiennes » sont très différents… J’ai plutôt voulu traverser un sommeil hanté… Aller voir de l’autre coté – et puis revenir… – Jusqu’à la fois suivante ?…

« En cette fin de siècle, la solitude est transparente… / Il arrive que des siècles passent… » (Claude Pélieu). Attendons la mort pour mûrir…

 

Votre oeuvre commence à être reconnue internationalement, mais aussi aux yeux de pas mal de critiques et d’universitaires. Qu’est-ce qui a tourné en votre faveur ces derniers temps, vous qui disiez dans la première partie de cet entretien (voir New Noise 4) qu’on « changeait de trottoir en vous voyant après la sortie de Docteur Chance » ?

 

Etrangement, c’est quand je semblais complètement bloqué, à la toute fin des 90, que des festivals étrangers ont commencé à faire des « rétrospectives » (de poche!). Les voyages permettent de rencontrer d’autres personnes, d’autres facettes du monde — et d’espérer des solutions différentes aux films… Vers 2002/2003, j’ai repris courage, et réarmé des projets… Mais le monde des festivals ou des cinéphiles (même internationaux) ne jointe pas exactement avec celui du financement… Et puis en France, on peut être connu de ce milieu, sans être reconnu, ni admis à faire de nouveaux films… Enfin, c’est la question (vaste) : entre le possible et la réalisation, surgit soudain un gouffre où l’on peut se perdre… C’est justement parce que l’on vous connaît, que l’on change de trottoir… Souvent j’ai le sentiment que les gens qui s’occupent de la faisabilité économique des films, n’y croient plus – ne pensent plus que de grands films puissent advenir… On trouve 100.000 Euros avec toutes les difficultés quand un acteur comique sortant d’un succés lève 5 millions avec le petit doigt… On dirait que la malédiction qui frappé le rock’n’roll en France dans les années 77/90, s’est propagé au cinéma… Une sorte de kinovariété assez morne couvre tout le champs de la production — comme l’on vit toutes sortes de groupes intéressants entre 77 et 83 surgir, puis sombrer dans la mythologie mortuaire… Ce n’est pas que les français soient vraiment nuls, mais plutôt que le « système » propage le découragement sur tout ce qu’il reste de vif… Et puis il y a un dichotomie entre le french et l’international… Même la « qualité européenne » du cinéma est plus déprimante (riches téléfilms pour grand écran) que la « qualité France » tant décriée par la Nouvelle-Vague à ses débuts… Il faudrait que « quelque chose se passe »…

 

« Dharma Guns » et « Le Trésor des Iles Chiennes » partagent un certain nombre d’éléments et de thèmes : un récit se déroulant sur une île, un lieu de tournage similaire (Les Açores), des acteurs (Stéphane Ferrara, Diogo Doria, Lionel Tua), une histoire de complot, le récit de la fin d’une famille/dynastie/corporation. Aviez-vous conscience au moment de l’écriture des similitudes entre les deux films ?

 

Pas vraiment… Les deux films sont tournés en Noir et Blanc – et utilisent le décor naturel des Açores, même si ce ne sont pas les mêmes îles, et qu’elles sont toutes différentes… J’ai toujours essayé de basculer d’un style à l’autre – de « Morituri » aux « Chiennes », puis « Dr Chance »… Bien que les « Chiennes », « Dr Chance » et « Dharma Guns » aient pour communauté cette idée de « sommeil hanté » d’une époque – où affleurent les colères errantes… Les mauvaises langues ont dit à partir des « Chiennes » que c’était encore du Ossang… Comme si c’était le même film que « Morituri »… Mais il est possible que les fims se rejoignent à mon insu — les cinéastes sont souvent les plus mal placés pour commenter leurs propres films — ce qui nous échappe s’avère souvent le plus intéressant…

Le hasard a fait que DG n’était soudain possible qu’entre les Açores et le Cantal – le paysage… et les visages!

 

« Dharma Guns » semble néanmoins plus distancié dans le traitement des personnages. On est même parfois très proche du stéréotype (je pense au personnage de Jon, avec sa gabardine et sa mèche). Une légère ironie traverse « Dharma Guns », qui éloigne le film de l’aspect résolument austère du « Trésor des Iles Chiennes ».

 

Stéréotypes – ou prototypes… A propos de Jon, ce qui est amusant, c’est que je m’étais inspiré au départ, pour son costume, d’un cliché de Staline, tunique et pantalons blancs, bottes noires, manteau de cuir et casquette – à la fin des années 20… Et puis le costumier, PY Gayraud a eu l’idée de rajouter une touche sud-américaine à l’uniforme, et la mèche seyait à Lionel, comme coiffure – et soudain, la presse a reconnu un SS dans le personnage (!)… Comme quoi, grattez un peu Staline, à votre grand dépourvu vous découvrirez comme Hitler n’est plus si loin…

 

« Docteur Chance » est un film un peu à part dans votre filmographie. C’est votre seul film en couleur, le seul de vos long-métrages qui ait été hors de l’Europe. C’est aussi un film de rupture vis à vis de vos premiers travaux. De quelle idée est né ce film ?

 

A partir du « Trésor des Iles Chiennes » (France-Portugal) , mes films n’ont été rendus possibles qu’à travers des coproductions étrangères. « Docteur Chance » (France-Chili) reprend le motif du road-movie à travers le désert d’Atacama – comme un cheval de Troie pour évoquer une sorte de « tombeau » (admiration) du 20° siècle… Sans renoncer à courtiser la légèreté ‘essentielle’ – la désinvolture propre à son rêve — Tombeau d’humour « ultra-violet » — Aviation, Rock’n’roll, Fast cars, fast girls – poèmes et tableaux… Nostalgie de la vitesse…

Voir ce qu’il reste – quand tout se dérobe sous vos pas… « A 30 ans, il faut avoir vaincu la peur à jamais – vivre la nuit, le jour, la même chose, comme une durée infinie… » (Dominique de Roux)

Pour des raisons inhérentes à la production au Chili, et à une possible entrée de Canal Plus à la post-production, j’ai été contraint de passer à l’aventure de la couleur… Et pour mon plus grand plaisir – le film n’est tourné qu’en extérieur-nuit, en intérieurs, et dans le Désert – où, comme dirait Ford, « le Soleil est le chef-opérateur »… « Dr Chance » est un peu mon seul film « américain » – poursuite des aventures de la couleurs, via la mise en abîme de tableaux fondateurs – Goya, Schiele, Kokoschka – le coffre de Gaudi – l’Idiot perdu dans l’intermonde avec pour seuls repères Georg Trakl, Vince Taylors / Joe Strummer, et les philtres d’un improbable songe Arthurien… Savoir finir, c’est tout ce qui compte…

 

Dans « Docteur Chance », on trouve dans la bouche d’Angstel cette terrible sentence : « L’art m’a fait chier toute l’enfance… C’était la forme la plus perverse du savoir adulte : une accumulation de clins d’oeil et de codes… Rien à voir avec la littérature ! La littérature c’est une sonde barbare, elle charcute toute cette sale culture. Quand ils ont tout éteint, c’est encore son groin qui renifle l’aurore ! ». Est-ce à dire que vous placez la littérature au dessus de tout ? Ou que vous opposez volontier la Culture et l’Art, mon premier étant empirique, et mon second une denrée rare ?

 

C’est un fragment de dialogue – une image, juste une image, comme dirait l’autre (Godard, « Pas une image, juste une image », ndr)… Le film est hanté par le modernisme du siècle parti, lui-même hanté par la fin de l’art, et la marchandisation du monde… « Dr Chance » se trame autour des trois degrés de prise de pouvoir du monde par la mafia :

1/ L’argent du sexe, de la came, et des d’armes

2/ Blanchiement par le trafic d’art, la presse, ou les jeux sportifs

3/ Accés aux plus hautes sphères du monde politique et financier

Dans ces enjeux du désastre plus si paranoïaque, la littérature – qui ne produit pas de marchandise, ressort aux yeux du personnage comme le seul recours « vrai » – à mains nues, du réel… La culture est souvent une collection des mauvaises habitudes…

D’un autre coté, le film surfe sur le vrai & le faux – le vrai, comme un moment du faux, ou l’inverse — d’autant que le cinéma relève en un sens de cette combinatoire : l’art du « remake » n’est-il pas l’un des grands ressorts de l’industrie cinématographique ? Ou l’imitation, le premier pas vers l’art – ou la poésie…

A cet égard, le cinéma de genre me passionne – en ce qu’il peut être source d’inspiration ou de regénération, comme les genres en poésie ou littérature – quelque soit le sujet initial, il se métamorphose selon qu’on a recours au sonnet, à l’ode, ou à l’élégie… L’idée du péplum quart-monde traverse « Morituri », le film d’aventures, « Les Chiennes » – le road movie, « Docteur Chance » – ou l’ombre gothique, « Dharma Guns »…

 

Entre « Docteur Chance » (1998) et « Dharma Guns » (2010), vous n’avez pas beaucoup tourné. Vous avez néanmoins signé quelques courts-métrages entre 2007 et 2008 qui ont pas mal circulés dans des festivals du monde entier : « Ciel Éteint ! », « Silencio », et « Vladivostok ». Ces films vont-ils être un jour édités en DVD ? En bonus du DVD de « Dharma Guns » peut-être ?

 

Après « Docteur Chance », nouvelle traversée du désert — comme s’il fallait que je sois puni après chaque film… Impossible de démarrer un nouveau projet – le script « Dharma Guns » a vu le jour sans trouver à se concrétiser…

Voyages – écriture – rock’n’roll… Les voies de la Providence sont impénétrables… Et puis en 2006, alors que je rentrais d’Argentine, et enregistrais avec Mr Nasti les titres du vinyle « Baader Meinhof Wagen », un coup de fil est venu du Portugal, pour ce film court : « Silencio » (20′) – retour au fondamentaux : 9 boîtes de 16 mm, tournage muet à 3 personnes (Elvire, Denis Gaubert et moi)… Le film a obtenu le Prix Jean Vigo, et m’a sans doute facilité l’accès au CNC – la production de « Dharma Guns » s’est trouvée relancée en 2007… J’ai tourné deux autres films courts à Vladivostok, en Extrême-Orient Russe, devant le Japon – « Vladivostok » et « Ciel Eteint! », qui forment une sorte de tryptique avec Silencio… Ces 3 films m’ont permis de revenir au point zéro : regarder pour voir, trouver un point de passage « simple » entre vision et voyance – en finir avec un cinéma où il n’y a plus rien à voir… Entendre le vide, et comment il se « matérialise » pour atteindre un autre seuil… Enfin, je ne sais pas – c’est un peu ma 4° période, avant « Dharma Guns » (2009/2010)…

Les deux films à Vladivostok ont aussi permis la rencontre de Guy McKnight, et de Gleb Teleshov à la photographie. « Dharma Guns », ainsi que « Silencio/Vladivostok/Ciel Eteint! » devraient en principe sortir en double DVD chez Potemkine, fin 2011…

 

Depuis la sortie de votre livre « William Burroughs : Formule Mort » en 2007, vous n’avez rien publié. Presque quatre ans de silence littéraire, vous ne nous aviez jamais habitué à ça. Prévoyez-vous de bientôt casser ce silence ?

 

Si, j’ai publié 2 ou 3 plaquettes — mais c’est vrai, le cinématographe m’a entièrement occupé, de l’écriture au tout détail du montage, d’autant qu’il a fallu créer avec Bruce Satarenko la structure « OSS/100 Films & Documents » pour réussir à produire les films… Je n’ai pas cessé d’écrire durant cette période, mais une grande partie de textes a été perdue à l’occasion d’un vol d’ordinateur où j’avais eu la bêtise de tout recopier pour archiver – Never Trust a Machine… Il ne me reste que 2 ou 3 dates de ‘tournée’ pour le film, dont une rétrospective en Corée, puis « Dharma Guns » au festival Fantasia de Montréal, et à nouveau le Mexique et la Russie à l’automne… Je compte mettre à profit l’été pour écrire. Sinon un livre de poèmes pourrait assez vite voir le jour, si quelque éditeur surgit du désert français – presque tous mes livres sont épuisés, et je n’ai pas d’éditeur. Naviguer Est Nécessaire… Ecrire – inaugurer un nouveau cycle comme à chaque fois : un autre livre, un autre film, y porque no? un nuevo disco… — sinon « Génération Néant » (le premier roman de Ossang écrit au début des années 80 et publié en 1993, ndr) devrait sortir en traduction argentine chez Caja Negra Editora de Buenos-Aires, début 2012… Savoir finir ce que l’on a commencé!

 

 

par Fabien Thévenot

 

 

* This interview has already appeared on Nosiemagazine; we thank Fabien Thévenot (http://newnoise.fr/)

 

OSSANG EN 4 FILMS

 

L’AFFAIRE DES DIVISIONS MORITURI (1985)

Combats de gladiateurs clandestins, sociétés secrètes, jeunesse européenne sacrifiée sur l’autel du modèle économique dominant, le fantôme de la bande à Baader plane sur ce brûlot Godardien punk à la sauce situ. Film de fin d’études réalisé en compagnie des membres de Lucrate Milk (qui signent également la B.O.) dans lequel apparait Hellno, celui qui deviendra par la suite le chanteur des Negressese Vertes.

 

LE TRÉSOR DES ILES CHIENNES (1990)

Un commando suicide se rends sur l’atol des Iles Chiennes où la découverte d’une nouvelle

d’énergie a semé le chaos. Film expressioniste aux relents indus, filmé dans un sublime noir et blanc dans les Açores avec un Clovis Cornillac tout jeunot, l’actrice espagnole Mapy Galàn et l’ex boxeur Stéphane Ferrara, Le Trésor des Iles Chiennes est une descente aux enfers labyrinthique, abstraite, un road-movie en surplace qui n’a rien perdu de son pouvoir de fascination.

 

DOCTEUR CHANCE (1997)

Tourné en Argentine, Docteur Chance est l’unique film en couleur de Ossang. Imaginez Sailor et Lula mis en scène par un Léos Carax adroit. Probablement le film le plus accessible et le plus beau du réalisateur. Cerise sur le gâteau, Joe Strummer vient donner la réplique à Pedro Hestnes pour ce qui sera sa dernière apparition cinématographique. Définitivement un must-have.

 

DHARMA GUNS (2011)

Retour au noir et blanc, retour aux somptueux paysages des Açores, retour à l’abstraction, aux labyrinthes, et aux arguments la science-fictionnels pour ce Dharma Guns qui pourrait être vu comme une variation de Ossang sur son propre univers. On pense à Eraserhead, à La Jetée, à Alphaville, pourtant personne d’autre qu’Ossang n’aurait pu signer un long-métrage aussi singulier. Un film d’une radicalité plutôt bienvenue en ces périodes de renoncement.

 

 

OSSANG EN 4 DISQUES

 

M.K.B FRACTION PROVISOIRE « Terminal Toxique » (Ceeditions Tracks – 1982)

Entre punk primitif et proto-indus, le premier album de M.K.B (pour Messageros Killers Boys) Fraction Provisoire est à la fois un classique du post-punk français et un disque complètement mutant vu le contexte dans lequel il a été produit. Imaginez un William Burroughs iroquois déclamant ses cut-up sur une musique signée Wire et Throbbing Gristle. « Tocsin d’urbaine guerilla / et zéro mémoire / dans la dernière chambre / d’un hôtel nodaways détruit / bref, l’Apocalypse aux portes / de la frayeur / Who is eating your mind ? »

Réédité en CD chez Seventeen Records

 

M.K.B FRACTION PROVISOIRE « Le Trésor des Iles Chiennes : bande originale » (Bondage Records – 1991)

A film singulier et apocalyptique, bande originale atypique. Probablement le plus abouti, le plus atmosphérique et le plus envoûtant des disques de M.K.B. On pense tour à tour à Godspeed You ! Black Emperor (cinq ans avant la naissance du groupe), Einsturzende Neubauten, ou encore à certains morceaux de Bauhaus. Quasi entièrement instrumental, « Le Trésor des Iles Chiennes » est un disque aussi furieux que mélancolique, dont la poésie au scalpel n’a d’égal que sa grisante singularité. « Le reste est simple / comme nous espérons l’être un jour / quand enfin nous pourrons dire / qu’on vient d’une terre enfermée dans la terre / d’une terre enfermée dans la nuit / soleil trahi je ne sais que dire / un plissement d’aile me chiffone l’intérieur »

 

M.K.B FRACTION PROVISOIRE « Frenchies, Bad Indians, White Trash » (Semantic – 1994)

Cette compilation, aujourd’hui relativement difficile à trouver, regroupe les meilleurs titres de M.K.B parus entre 1980 et 1991. Un bon moyen de parcourir l’étonnante carrière d’un groupe qui passe allègrement du punk le plus sauvage à une noise rock hantée. Une seule constante, les textes, criés, déclamés, dans une langue striée, électrique, concassée. Visionnaire. « Indestructibles / nous sommes indestructibles / comme la synthèse / du killer et du supplicié / nos corps sont déjà détruits / pour survivre sous nos figures / européennes / here’s European Death Winners ! »

 

BAADER MEINHOF WAGEN ! « 12 » mini-LP » (Seventeen Records – 2007)

Suite à une cure d’amaigrissement parfois forçée, il ne reste désormais plus que deux membres d’origine de M.K.B. (Mr Nasti et Ossang) dans cette nouvelle mouture du groupe rebaptisée « Baader Meinhof Wagen ! ». L’apparition de claviers et de boites à rythmes donnent un côté électro-rock bienvenu à l’ensemble, offrant ainsi un nouvel écrin à la plus que jamais obscure et sublime poésie d’Ossang. La quintessence de ce disque : un morceau-hommage à Claude Pélieu, le seul et à tout jamais dernier poète beat d’expression française décédé la veille de noël 2002. « Claude Pélieu was here / ceci est un poème radio balise carbonisé / l’appel désespéré d’un monde-image troué de nuit / poème-atoll de métal et de sang / nous y sommes c’est à dire nulle part / ni europe ni amérique / un océan ou deux nous séparent  »

 

 

 

Le sublime Coffret DVD Ossang sorti en avril dernier chez Potemkine contient “L’Affaire des Divisions Morituri”, “Le Trésor des Iles Chiennes” et “Docteur Chance”, ainsi que ses deux premiers courts-métrages (“La Dernière Énigme”, “Zona Inquinata”), un entretien avec le réalisateur et un livret de 76 pages. www.potemkine.fr

 

www.fjossang.com

www.myspace.com/baadermeinhofwagen

www.myspace.com/mkbfractionprovisoire

www.facebook.com/fjossangappreciationsociety

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Une réponse à La Furia Umana rencontre FJ Ossang

  1. El manu dit :

    Mirobolante intervue !!! Bravo !!!

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