Manifeste pour un cinéma mutant ! Fabien Thévenot, Le courrier

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F.J. Ossang, manifeste pour un cinéma mutant

JEUDI, 12 MAI, 2011

DVD • Adepte d’un cinéma «autre», le cinéaste français revient enfin avec un nouveau long métrage, une rétrospective et un coffret DVD.

A l’heure de la généralisation des projections numériques et de la production en masse de films en 3D, le cinéma noir et blanc de François-Jacques Ossang, tourné en 16 ou 35 mm, a quelque chose de prodigieusement anachronique. Interrogé par les Cahiers du Cinéma en mars dernier à propos de ce déferlement numérique, celui-ci répondait: «Mes films sont le fruit des chocs mentaux que j’ai eu devant l’avant-garde soviétique, le cinéma allemand, la série B américaine des années 1940 à 1960 et énormément de cinéma muet. C’est comme de lire Trakl, Artaud ou Rimbaud ou de découvrir les Stooges, ce sont des choses qui vous marquent à vie. Muter m’intéresse, évoluer non.»

Burroughs iroquois
Pour saisir l’exactitude d’une telle déclaration, il suffit de jeter un œil aux deux courts et trois longs métrages réunis dans le coffret DVD édité par Potemkine Films & Agnès B. Si l’on survole ses deux premiers courts – La Dernière énigme (1982) et Zona Inquinata (1983) – pour aboutir à Docteur Chance, son troisième long, force est de constater qu’en quinze ans, le cinéma de F.J. Ossang s’est ajusté, amputé, a subi de nombreuses greffes, mais n’a jamais foncièrement évolué. Dès l’origine, le style Ossang est là: esthétique postindustrielle, rhétorique debordienne, cartons hérités du muet, scénarios labyrinthiques, théorie burroughienne de la subversion du discours dominant, dialogues écrits pour être déclamés.
A l’origine, il y a deux courts suivis d’un long métrage (L’Affaire des Divisions Morituri), tournés entre 1982 et 1984. Trois films qui reflètent leur époque et ses errements. On y aborde le désarroi de la jeunesse européenne face à la fin des utopies, le terrorisme occidental, les nouvelles méthodes de torture psychologique pour briser les résistances. Brouillons, imparfaits, chaotiques, ces premiers essais n’en restent pas moins l’œuvre d’un punk éclairé n’ayant jamais renoncé à la poésie.
Au début des années 1990, le discours critique du cinéma d’Ossang va néanmoins se déplacer sur le territoire esthétique. Le Trésor des Iles Chiennes (1990) est probablement son film le plus fascinant, de par la fulgurance de sa mise en scène, magnifiée par la photographie signée Darius Kondji.

Cauchemar kafkaïen
A la fois film d’aventure métaphysique, science-fiction à petit budget et cauchemar kafkaïen postindustriel, ce Trésor parle de notre sale course effrénée à la production d’énergie, du suicide autoprogrammé de l’Occident. Entre Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston et L’Aurore de Murnau, Ossang cherche à atteindre la modernité du cinéma en invoquant les images du passé, tente avec des méthodes d’alchimiste de produire la synthèse du muet, de la série B et de la poésie. Si le résultat souffre de quelques flottements, la proposition fait autorité dans sa volonté de libérer le septième art du despotisme du dialogue et des champs-contrechamps.
Sept ans plus tard, Ossang tourne Docteur Chance, son seul et unique film en couleur. Pour ce troisième long métrage, le metteur en scène s’attaque aux archétypes du film noir. Nicholas Ray y rencontre Leos Carax sur les routes désertiques chiliennes, guidé par un Joe Strummer fantomatique venu tirer sa dernière révérence cinématographique. Le film est à l’époque très mal reçu par la critique. Pourtant, en le redécouvrant aujourd’hui, on y entrevoit un cinéaste tout terrain à l’aise dans n’importe quelle situation de tournage commando. Qu’il filme le Chili, les Açores, la banlieue parisienne ou l’Auvergne, Ossang a cette capacité innée de s’approprier n’importe quel lieu pour en faire son «interzone», s’affranchir du réel, livrer sur son rapport au monde un perpétuel commentaire poétique.

Cinéma de l’errance
On dira alors son cinéma bavard. Mais dans le fond, il est avant tout littéraire, dans le sens le plus noble du terme. Ses dialogues ne servent jamais à faire avancer le récit. C’est peut-être ce qui désarçonne le spectateur en premier lieu. Chez lui, il s’agit d’arracher le mot à sa fonction informative pour lui permettre de se déployer dans un espace poétique que l’image accueille comme un écrin. Son dernier film, Dharma Guns, sorti le 9 mars en France accompagné d’une rétrospective intégrale (mais encore inédit en Suisse), enfonce le clou dans cette volonté de produire un cinéma de l’errance, cérébral et guidé par les logiques du rêve.
Cinéaste de la sensation pure, F.J. Ossang est un lointain cousin de Guy Maddin, David Lynch, voire même – dans une certaine mesure – de Terrence Malick. Il est, comme il aime à le rappeler, un cinéaste de troisième génération, ayant absorbé un cinéma muet visionnaire, ayant dépassé le cinéma parlant assujetti au réel, cherchant aujourd’hui la troisième voie, une sorte de cinéma-synthèse.

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