Vous payez des droits pour l'utilisation de ces images ?

Non. À partir du moment où l'on porte un regard critique sur des images, pour la plupart déjà diffusées, il me semble que l'on n'a pas à payer de droits d'utilisation, ni même à en demander l'autorisation, sinon on ne les obtiendrait jamais ! Ce n'est pas forcément légal, mais tout à fait légitime. On prend souvent les gens à leur propre jeu... Si on fait un arrêt sur Arrêt sur images, Schneidermann n'a rien à dire, car on fait finalement ce que devrait être son boulot. C'est vrai qu'un esprit vindicatif traverse le film, vouloir à tout prix venger Bourdieu qui a été maltraité par cette émission et par la télévision en général. Je tenais absolument à ce que le film ne nie pas cette dimension, mais cela lui ôte-t-il pour autant toute qualité ? Est-ce que cela disqualifie les arguments avancés ou les archives ? Je ne crois pas.

Une critique circulait bien avant les premières projections du film : vous vous en preniez à la mauvaise personne...

C'est une très mauvaise critique. De la même manière, énormément de gens acceptaient Pas vu pas pris jusqu'à ce que Karl Zéro apparaisse. De nombreux spectateurs admettaient qu'on tape sur TF1 ou France 2, mais coinçaient lorsqu'on en arrivait à Canal+, tellement ils étaient intoxiqués par le discours ambiant. Ici, on aura probablement le même phénomène. Mais la plupart des gens qui sortent de la salle sont quand même bousculés dans leurs certitudes. Des hommes politiques au patrons de multinationales, le pouvoir se déplace, et on se fait avoir parce qu'on ne voit pas ce déplacement. Même chose pour la censure. Ce qui apparaissait dans Pas vu pas pris est désormais une forme archaïque de censure, des procédés beaucoup plus modernes et subtils sont en train de se mettre en place, y compris à travers des émissions dites critiques comme Arrêt sur images. Et c'est là que je ne me suis pas trompé de cible : cette émission a une responsabilité d'autant plus importante qu'elle est censée détecter ce genre de glissements. En disant « attention, la télé a changé, voilà maintenant comment on censure, en invitant des gens dont les discours sont dissidents et en les mettant dans des dispositifs tels qu'ils ne peuvent pas développer correctement leurs opinions ». En ne le faisant pas, elle reproduit le système et, en plus, elle occulte ces phénomènes nouveaux. On me dit que c'est une toute petite émission qui ne fait pas vraiment d'audience, ce qui est vrai. Mais il faut aussi mesurer son influence. Les spectateurs d'Arrêt sur images sont en majorité des profs. Elle a donc un pouvoir bien supérieur à son audience. Je ne tire pas sur une ambulance, au contraire. Cette émission est au cœur du système.

 

 

   
Le fait d'en venir à critiquer ceux qui prétendent critiquer la télévision serait-il logiquement le dernier volet de cette réflexion ?

Je ne pense pas que je m'embarquerai à nouveau dans un film sur la télévision. Je n'y travaille plus depuis cinq ans, et je n'ai plus de matière intéressante pour raconter autre chose que ce que j'ai déjà raconté à travers Pas vu pas pris et Enfin pris ? Je pense que la boucle est bouclée.

N'est-ce pas aussi un constat d'échec que de devoir faire un film sur la télé, au cinéma ?

Oui et non. Les films sont vus au cinéma avec une attention et une qualité d'écoute particulière. Je préfère que mes films soient vus tranquillement en salle, et qu'on en débatte après. De plus, pour des documentaires, mes films ont un certain impact. Pas vu pas pris a atteint les 160 000 entrées.

Vos films en salle ne risquent-ils pas de servir d'alibi de la même façon que les émissions dites de contre-culture ?

Peut-être. II faudrait que quelqu'un fasse un film là-dessus... Ils ne passent que dans des réseaux indépendants, et le risque est qu'ils ne touchent que des gens déjà convaincus ou avertis. C'est emmerdant, mais en même temps c'est moral que l'argent revienne à des indépendants. Même Marin Karmitz avait refusé Pas vu pas pris contre l'avis de son programmateur, ce qui est rare. Karmitz prétendait qu'il était mauvais. II avait juste oublié d'expliquer qu'il était également lié à Canal+ en tant que producteur. On peut légitimement avoir peur des représailles de Canal+ parce qu'on passe dans son réseau un film pareil. Mais alors il faut l'assumer, au lieu de donner des leçons d'indépendance et se coucher. Même son excuse sonne faux dans la mesure où il est obligé de programmer des films qu'il n'aime pas ou qu'il ne voit pas. C'est rigolo de voir ces gens soi-disant de gauche donner de grandes leçons de morale et se comporter eux aussi comme des censeurs. Mais il va finalement prendre Enfin pris ?

FIN